L'anguille

Temps de lecture : 7 min

Risque d'extinction

Description physique

Le nom vernaculaire "anguille" fait référence à plusieurs poissons possédant ces caractéristiques : animal serpentiforme, migrateur et vivant en eau douce et en eau salée selon son stade de développement. Il y a principalement trois grandes familles : l'anguille européenne, l'anguille américaine et l'anguille du Japon.

L'anguille mesure en moyenne entre 50 et 150 centimètres à l'âge adulte. La femelle est plus grande que le mâle et peut peser jusqu'à plus de 6 kilos.

L'anguille a quatre stades de développement auxquels correspondent des caractéristiques physiques distinctes. Elle naît leptocéphale, c'est-à-dire une larve à tête plate et transparente, longue d'environ 5 millimètres et d'une apparence évoquant la feuille de saule. C'est sous cette forme qu'elle va amorcer son voyage vers un continent.

Suit le stade civelle (ou pibale), l'animal est toujours transparent, mais s'est arrondi. Cette transformation a lieu au cours de la migration. À son arrivée, elle mesurera déjà plus de 6 centimètres et grandira jusqu'à atteindre environ 80 centimètres.

Le troisième stade est celui de l'anguillette ou anguille jaune, qui fait référence à sa pigmentation commençant à foncer pour devenir olivâtre. Ce stade représente la majeure partie de l'existence de l'anguille, qui grandira jusqu'à atteindre sa taille adulte. Les nageoires dorsales, anales et caudales sont soudées pour n'en former qu'une, qui court de l'anus au milieu du dos. Elle possède également deux petites nageoires pectorales rondes. Son corps est couvert de petites écailles enveloppées dans un épais mucus.

Enfin, survient la maturation vers le stade adulte, c'est-à-dire les dernières transformations. C'est sous cette forme qu'elle repartira rapidement vers la mer pour frayer et sa morphologie se modifie donc en conséquence. Son épiderme s'épaissit et se pigmente pour devenir gris argenté, tout en conservant des reflets olive. Le volume de ses yeux augmente afin d'avoir une bonne vision sous-marine et ses nageoires pectorales s'allongent afin de favoriser la nage pélagique. Enfin, un neuromaste apparaît : il s'agit d'une ligne latérale sensitive qui lui permet de ressentir les mouvements de l'eau. L'animal adulte est appelé l'anguille argentée.

Son lieu de vie

L'anguille européenne fait partie des trois seuls poissons migrateurs d'Europe, avec le saumon et l'alose. Mais, alors que ces deux derniers fraient, pondent et meurent en eau douce et que les juvéniles redescendent vers la mer pour passer l'essentiel de leur vie en eau salée, l'anguille fait le contraire. Elle naît puis se reproduit et meurt en mer, mais passe la majeure partie de son existence sur les côtes ou en eau douce dans l'intervalle. C'est ce que l'on appelle un migrateur catadrome.

L'anguille, qu'elle soit européenne ou américaine, se reproduit dans la mer des Sargasses (mer sans côtes si ce n'est celle des Bermudes). Après leur éclosion, les larves entreprennent une migration vers le continent européen ou américain, en se laissant dériver, portées par le courant du Gulf Stream. Leur voyage dure généralement entre 6 et 12 mois, mais peut se révéler encore plus long. Leur premier lieu de vie est donc la pleine mer, dans l'océan Atlantique Nord. Elles y parcourent quelque 5 000 kilomètres.

Arrivées sur place, toujours transparentes, les larves ont multiplié leur taille par 10 et se sont arrondies pour déjà ressembler à de petites anguilles, elles sont devenues des civelles. Si certaines restent dans les eaux côtières, beaucoup remontent également les cours d'eau, colonisant aussi bien les estuaires, les fleuves, les rivières, les marais et les lacs que les étangs. C'est ainsi qu'en France, on peut trouver des anguilles dans la Seine, à Paris !

Les jeunes spécimens à peau claire (civelle) craignent la lumière et s'enfoncent donc dans la vase pour ne sortir que la nuit. Au fur et à mesure de son vieillissement, la peau de l'anguille devient plus résistante et pigmentée, ce qui lui permet de remonter un peu plus vers la surface. Mais son lieu de vie préféré demeure les fonds d'eau stagnante, qu'elle soit douce ou saumâtre.

L'habitat est également fonction de la taille et du sexe de l'individu. Par exemple, sans être territoriales, les femelles ont néanmoins tendance à remonter plus en amont, fuyant la concurrence intraspécifique. Les spécimens de petite taille resteront plus facilement à proximité du littoral. Par ailleurs, selon l'abondance de nourriture, l'anguille peut être sédentaire ou faire du nomadisme.

L'aire de répartition de l'anguille européenne s'étend sur tout l'ouest du continent, depuis la Norvège jusqu'en Afrique du Nord. De l'autre côté de l'Atlantique, sa cousine américaine est présente depuis le nord du Canada jusqu'au nord du Brésil. Quant à l'anguille du Japon, elle est présente en Chine, en Corée, au Japon et aux Philippines. Migratrice, elle aussi, elle part se reproduire dans la ride occidentale des Mariannes (la fosse océanique des Mariannes est la plus profonde du monde), migrant pour rejoindre une côte.

Son alimentation

L'alimentation de l'anguille change également selon ses stades de développement. La larve, en mer, se nourrit de zooplancton, aidée en cela par les longues dents dont elle est pourvue. En grossissant, elle peut s'alimenter ensuite avec des vers marins, de petits crustacés (crevettes et petits crabes), des gastéropodes et certains poissons comme des épinoches et des gobies par exemple. Lorsque, à l'approche des côtes, elle amorce sa transformation en civelle, elle cesse de s'alimenter. Elle perd ses dents, du poids, et peut même rapetisser. Le poisson ne recommencera à s'alimenter qu'à partir du moment où il se sera métamorphosé en anguillette.

À partir de là, l'anguille devient un carnassier opportuniste. En effet, elle s'adapte à son lieu de vie et son alimentation dépend donc du biotope. Elle se nourrit presque exclusivement de poissons, mais les vers, crustacés et même insectes happés à la surface de l'eau ne seront pas dédaignés. L'anguille d'Amérique mange même des plantes. Pour se préparer à sa seconde migration, sa quête de nourriture est intense, car elle va chercher à s'engraisser au maximum pour accumuler un stock lipidique suffisant.

Sa reproduction

Arrivée à maturité, l'anguille subit une métamorphose interne. Son système digestif laisse la place aux organes génitaux. L'adulte va ensuite entreprendre sa seconde migration à l'automne, et redescendre vers l'océan, on appelle cela la dévalaison, pour retourner sur son lieu de naissance dans la mer des Sargasses ou, pour l'anguille asiatique, l'océan Pacifique. Incapable de se nourrir puisqu'elle n'aura alors plus les organes nécessaires (même l'anus se sera rebouché), elle vivra sur les réserves de graisses qu'elle aura accumulées. Son voyage durera entre 4 et 6 mois.

Une fois sur place, la période de reproduction pourra commencer. Elle se déroule dans les eaux profondes, à environ 400 mètres minimum. La fécondation est externe, c'est-à-dire que le mâle féconde les œufs pondus par la femelle. Celle-ci est très productive, et pond des millions d'ovocytes, qui peuvent être fécondés par plusieurs mâles. L'anguille ne se reproduit qu'une fois au cours de son existence.

Son espérance de vie

L'anguille d'Europe passera entre 5 et 20 ans à croître en eau douce. Les femelles ont une longévité supérieure au mâle. En captivité, une anguille peut vivre jusqu'à 25 ans. L'Anguille d'Amérique vit plus longtemps et peut atteindre 50 ans. Il est plus difficile d'évaluer son espérance de vie à l'état sauvage, bien sûr.

Le cycle de vie se décompose comme suit :

La durée de vie de la larve sera fonction du temps qu'il lui faudra pour traverser l'Atlantique. Sachant qu'à l'approche de la fin du voyage, elle se sera métamorphosée en civelle.

Le stade civelle est le plus court, ce qui semble logique puisque l'animal ne s'alimente pas. Il dure entre quelques semaines et quelques mois.

L'étape suivante est en revanche la plus longue. C'est la phase de l'anguille jaune, qui dure entre 15 et 20 ans.

La durée de vie de la forme anguille argentée, qui est le stade adulte, correspondra au temps qu'il lui faudra pour rejoindre le lieu de frai. Elle mourra ensuite.

Signes particuliers

Si l'on est en mesure de donner un aperçu du cycle de vie de l'anguille de sa naissance à sa mort, personne, à ce jour, n'a cependant jamais observé la reproduction de l'espèce en eaux profondes. Alors que cela fait plus de 100 000 millions d'années qu'elle évolue dans nos océans. C'est seulement en 2022 qu'une équipe de chercheurs est parvenue à tracer des anguilles depuis la côte jusqu'à leur lieu de reproduction.

Ses cycles de vie et ses métamorphoses sont conditionnés par la chaleur de l'eau. Et à chaque stade correspondent des températures particulières.

Par ailleurs, l'anguille est en mesure de sortir de l'eau et ramper sur la terre ferme pour aller d'un point d'eau à un autre. Elle adopte alors une respiration cutanée pour survivre.

Statut de préservation

L'anguille est considérée comme étant en danger critique d'extinction selon les critères de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En Europe, elle fait l'objet d'un plan de sauvegarde. Les membres de la Communauté européenne sont tenus d'établir des mesures de gestion par bassin versant.

L'animal est par ailleurs inscrit à l'annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) dite "convention de Washington". Celle-ci fixe des règles de protection pour faire face à la surexploitation.

Les principaux dangers auxquels est soumise l'anguille sont la surpêche (la civelle est particulièrement ciblée, car elle est très prisée à la consommation), la pollution des eaux et les barrages et écluses l'empêchant de circuler librement. Les Asiatiques et particulièrement les Japonais en sont tellement friands qu'ils ont créé un grand nombre de fermes piscicoles pour pallier la diminution de la population. Jusqu'à 80 % des civelles sauvages sont en effet prélevées, ce qui est considérable.

Néanmoins, l'anguille du Japon ("unagi") a récemment été observée en plein centre d'Osaka, dans un cours d'eau très pollué. Preuve de sa résilience et de son instinct de survie.